Le renouveau des petites lignes ferroviaires : enjeux et perspectives pour la mobilité rurale

Le renouveau des petites lignes ferroviaires : enjeux et perspectives pour la mobilité rurale
Le renouveau des petites lignes ferroviaires : enjeux et perspectives pour la mobilité rurale

Un réseau délaissé, mais stratégique

Pendant longtemps, les petites lignes ferroviaires françaises ont été perçues comme un héritage du passé, coûteux à maintenir et peu fréquenté. À l’heure de la rationalisation des dépenses publiques et de la montée en puissance de la voiture individuelle, de nombreuses dessertes ont été fermées ou laissées à l’abandon. Pourtant, ces lignes dites « de desserte fine du territoire » représentent près de 9 000 km de réseau, soit plus de 30 % du linéaire ferroviaire national, selon SNCF Réseau. Aujourd’hui, leur renouveau apparaît comme un enjeu crucial pour accompagner la transition écologique, lutter contre la désertification des zones rurales et offrir une alternative crédible à l’autosolisme.

Pourquoi les petites lignes sont-elles revenues sur le devant de la scène ?

Depuis quelques années, le contexte climatique, social et économique impose une refonte des modèles de mobilité. La crise des Gilets Jaunes en 2018 a rappelé que l’accès à la mobilité est un droit fondamental, en particulier dans les zones rurales et périurbaines, souvent délaissées par les transports publics. La voiture y reste quasi incontournable, faute de solutions collectives accessibles.

Par ailleurs, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre a réhabilité l’intérêt du transport ferroviaire, reconnu pour son faible impact environnemental. Dans ce contexte, les petites lignes, bien que coûteuses à entretenir, représentent un levier stratégique pour repenser les mobilités du quotidien hors des grandes métropoles.

Les bénéfices multiples du redéploiement des petites lignes

Remettre en service ou moderniser les petites lignes ferroviaires ne répond pas seulement à un idéal de décarbonation. Cela permet aussi :

  • de désenclaver des territoires ruraux souvent isolés ;
  • d’améliorer l’accès à l’emploi, aux soins et à la formation ;
  • de créer des dynamiques économiques locales (tourisme, commerce, immobilier) ;
  • de renforcer la cohésion sociale en rétablissant un lien physique entre les habitants d’un territoire ;
  • de soutirer une part du trafic routier, en particulier sur les trajets domicile-travail.

L’effet catalyseur sur le territoire est souvent sous-estimé. Un train qui passe, c’est une gare qui revit, un café qui rouvre, une commune qui attire de nouveaux habitants. On observe d’ailleurs que certaines lignes remises en service dans les années 2010 (comme entre Grenoble et Veynes) ont connu une fréquentation bien supérieure aux estimations initiales.

Les défis techniques et économiques à relever

Le principal frein au redéploiement des petites lignes réside dans leur état de vétusté. Beaucoup nécessitent une rénovation lourde : remplacement de rails, adaptation des installations de sécurité, électrification éventuelle ou introduction de nouveaux matériels roulants. Les coûts de modernisation se chiffrent souvent en centaines de milliers d’euros par kilomètre, voire plus.

S’ajoute la question de l’exploitation : faut-il maintenir des trains traditionnels, ou adopter des innovations comme :

  • les trains légers ou autonomes (trains à hydrogène, à batterie) ;
  • le tram-train, plus souple et adapté aux distances courtes ;
  • les services à la demande ou en horaires adaptés selon la fréquentation ;
  • la réversibilité fret-passagers sur certaines lignes peu fréquentées.

Le coût d’exploitation par passager est encore élevé, mais il tend à diminuer avec les nouvelles technologies embarquées, la numérisation des services et l’émergence de nouveaux modèles économiques.

Décentralisation et politiques régionales : moteur du changement

Depuis la réforme ferroviaire de 2015, ce sont les Régions qui sont devenues autorités organisatrices de la mobilité. Elles financent une grande part des TER et sont désormais en première ligne pour décider du sort des petites lignes. Certaines ont pris les devants : la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie ou encore la Bourgogne-Franche-Comté ont réaffirmé leur engagement à maintenir ou réhabiliter ces lignes essentielles au tissu local.

Des projets pilotes ont également vu le jour, notamment via l’appel à projets « Petites lignes ferroviaires » lancé par l’État en 2020. Ces initiatives visent à tester de nouveaux modèles techniques et économiques, en co-financement entre SNCF Réseau, l’État et les collectivités territoriales.

Les usagers au centre du dispositif

Redonner vie aux petites lignes ne se limite pas à faire circuler des trains. Il s’agit de s’assurer que les services soient adaptés aux usages réels et aux besoins des usagers. Pour ce faire :

  • Les horaires doivent correspondre aux besoins des actifs, notamment les horaires de travail et de correspondances avec d’autres moyens de transport ;
  • Les gares et haltes doivent redevenir accessibles, avec des parkings de rabattement, des abris vélos, une information voyageurs intuitive ;
  • Les tarifs doivent être attractifs et simplifiés (forfaits, abonnements, tarifs combinés avec les bus et cars régionaux) ;
  • Les services doivent être fiables pour regagner la confiance d’usagers souvent échaudés par le passé.

De plus en plus de collectivités mènent des consultations citoyennes ou des enquêtes d’usage avant de remettre en service une ligne, afin de garantir un service utile et soutenu par la population locale.

Quand la technologie soutient le retour du train local

La modernisation des petites lignes n’exclut pas l’innovation, bien au contraire. Aujourd’hui, plusieurs projets misent sur des solutions de rupture pour concilier coût et performance, parmi lesquelles :

  • les trains autonomes, réduisant les coûts de personnel ;
  • les matériels roulants plus légers, modulables et énergétiquement sobres ;
  • l’optimisation des fréquences grâce à l’intelligence artificielle et aux données massives (big data) ;
  • le suivi de l’état des infrastructures en temps réel pour limiter les dépenses de maintenance préventive.

Les expérimentations sont nombreuses, notamment dans les Régions labellisées « Territoires de Mobilité Innovante ». Le train léger de la société Exid CEA ou encore l’autorail à hydrogène développé avec Alstom font partie des innovations suivies de près.

Perspectives d’avenir pour les territoires

Le défi de la décennie à venir sera sans doute de trouver un équilibre viable entre desserte du territoire, préservation de l’environnement et maîtrise des dépenses publiques. Le train de proximité peut jouer un rôle clé dans cet écosystème, à condition de le penser différemment, en interaction avec les autres modes (transports collectifs routiers, covoiturage, vélo).

Le retour en force des petites lignes n’est pas seulement une affaire de mobilité, c’est aussi une façon de retisser du lien dans les territoires parfois oubliés des politiques nationales. Il offre une réponse technologique, mais surtout humaine, à des problématiques complexes d’équité territoriale et de transition énergétique. L’essor de ces lignes réhabilitées, pour peu qu’on en fasse un projet partagé, pourrait dessiner les contours d’une France plus accessible, plus mobile et plus durable.